Périmètre : une résidence de la périphérie d’Augusta, une backroom miteuse, un enregistrement, tout au plus trois personnages. Certains diront que l’exercice de style est déjà là, d’autres diront que ce serait mépriser la formulation éminemment naturaliste et humble de Reality que de le réduire à un « exercice », comme si ce rapport au réel si précieux qu’il s’évertue à entretenir pendant moins d’une heure trente ne serait qu’un devoir qu’on aurait donné à un élève d’école d’art. Un rapport au réel finalement comme un rapport à la vérité : c’est au fond cette question qui hante chaque plan, chaque choix de mise en scène de Reality, jusqu’à son titre (pourtant celui, bien réel, de sa protagoniste), jusqu’aux questionnements politiques plus actuels que sa thématique l’oblige à aborder.
La première affirmation que Reality semble assener, c’est celle d’un réel élusif : par le biais de l’ambigüité bien connue des apparences pièges des interrogatoires policiers, c’est d’abord un climat kafkaïen qui s’installe et parasite une routine banale – qu’on devinera bien plus tard elle aussi évasive. Mais plus qu’un simple choix d’écriture à tiroirs, c’est en fait sa nature profondément documentaire qui confère à Reality cette plume ésotérique, inquiétante, confondante : le réel n’explique jamais tout au détour d’un dialogue, il n’expose jamais tous ses secrets. Que Reality ait été militaire, on ne le découvrira que bien plus tard – au contraire de ses personnages, déjà bien au grès de cet élément de contexte apparemment indispensable au décryptage de ses tenants et aboutissants. Son procédé d’écriture (l’objectivité d’un enregistrement), se révèle alors à double tranchant : il ne semble alors ne plus y avoir de protagoniste, de point de vue personnifié sur une éventuelle « vérité », car dans sa propre mise en scène, chaque personnage est finalement un menteur, un unreliable character qui donne à ce thriller minimaliste des allures de films à twists brillamment scénarisé. Jusqu’à inclure le spectateur dans cette danse, enquêteur lui aussi des « éléments classés secrets » ou d’évidences trompeuses, jusqu’à se faire acteur de ce labyrinthe en huis clos – sibyllin même dans sa réflexion politique, évidemment orientée mais jamais assourdissante, brûlot silencieux sur la société de contrôle, les dérives totalitaires des démocraties occidentales, et la paradoxale neutralité de la fonction publique.
L’objet, si rare aux Etats-Unis,
fascine autant qu’il déconcerte – mais sa prouesse la plus fastidieuse,
probablement enfantée de sa radicale obsession de retranscrire à la lettre l’enregistrement
qui lui sert de fil, se mue en factum esthétique : d’une banale toux
estivale jusqu’à des mots d’esprit moyennement drôles, des banalités courtoises
à des hésitations de langage, tout y est, et le résultat n’en est que plus
envoûtant. Rarement on aura vu une perquisition comme celle-ci au cinéma, d’un
ordinaire déroutant à la géométrie chaotique, dont le simple procédé fait
passer du simple téléfilm à un redoutable thriller au naturalisme terrifiant.
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