Mon Top 30 des films de 2019

Mon Top 30 des films de 2019

Fin d'une année, fin d'une décennie. Retour en images, en textes, en sensations et en émotions sur la cuvée cinéma 2019. D'Hamaguchi à Eggers, en passant par Gray et Llinas. Lire plus

Les Misérables

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Vrai-faux La Haine 2019, ce film de son époque est aussi un essai éminement philosophique sur un sujet sociétal majeur : le pouvoir d'une image et ses conséquences. Lire plus

The Irishman

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Des gangsters, De Niro, Pesci, Pacino, une durée gargantuesque et un budget encore plus énorme : The Irishman avait des airs de film ultime pour Scorsese - où est-il justement un peu plus que ça ? Lire plus

The Lighthouse

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Tour de force technique avant tout, The Lighthouse avait sû générer de forces attentes : le buzz passé, le résultat vaut-il un peu plus que le tour de passe-passe égocentrique ? Lire Plus

mercredi 21 décembre 2022

Ne croyez surtout pas que je hurle


NE CROYEZ SURTOUT PAS QUE JE HURLE (2019)
RÉALISÉ PAR FRANK BEAUVAIS
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Critique écrite pour Le Blog du Cinéma en 2019. Écrire sur le cinéma c’est au fond s’assujettir à une logique qui n’a rien de vraiment savant : voir un film, puis pondre un texte sur ce dernier. C’est un double élan de création, qui n’a d’ailleurs aucune réelle valeur à part peut-être celle, indispensable pour certains, paradoxale pour beaucoup d’autres, de se placer en médiateur. Un médiateur de qui ? Un médiateur de quoi ? Plus précisément, écrire sur le cinéma, c’est reformuler sa position de spectateur – en faisant de l’acte de visionnage une étape, non pas définitive, mais transitoire.

Quand le réalisateur de Ne croyez surtout pas que je hurle, Frank Beauvais, entre en dépression en 2016, il le fait en passant ses journées à visionner des films. Il y en aura 400, d’avril à octobre. Si ce chiffre en chamboulera certains, il sera – pour d’autres amateurs irraisonnables – très évocateur. Il y a, dans la cinéphilie moderne, un facteur obsessionnel qu’on a tendance à banaliser : voir le cinéma comme une forme de substitut à la réalité a quelque chose d’attirant, et même plutôt réconfortant, surtout quand cette réalité – la nôtre – a cette instabilité qui nous effraie. Filmer, c’est contrôler. Vivre, c’est subir.

Ne croyez surtout pas que je hurle est une proposition singulière. D’une part, parce qu’il réinterprète une matière filmique préexistante (Beauvais utilise uniquement des images des 400 films qu’il a dévoré lors de ces quelques mois de 2016) ; d’autre part, parce qu’il donne à la parole une place de choix : elle énonce, dénonce, elle confie, défie. Elle donne à l’image son sens, tandis que l’image donne à cette-même parole un miroir. Un miroir, non pas fidèle, mais déformant : celui d’une réalité vécue qu’on change en réalité reconstruite, en artifice de cinéma : le spectateur, plongé dans cette galerie de plans aux origines diverses mais intraçables (pas un acteur connu ni scène emblématique), se retrouve face à ses propres ambigüités, jusqu’à reformuler la nature (très spécifique et personnelle) de son propre amour envers le cinéma. Du journal intime, on passe à l’essai. De la tentative égoïste, au témoignage d’une époque, d’un mal-être, d’une incompréhension.

Il faut corréler la réussite du premier film inclassable de Beauvais à celui de son impudeur. En ouvrant son cœur, le réalisateur ouvre son corps, et plus spécifiquement son corps cinématographique : de ces moments de septième art épars, on soulève une idée de vie, une idée de monde. De ces dates qu’il récite, de ces drames qu’il nous rappelle, il nous plonge dans un état. Celui d’une France en crise, celui d’une France terrifiée – cette bulle 2015-2016 où chaque semaine avait son lot de nouvelles tragédies. Les noms de villes deviennent des bains de sang, une simple date calendaire devient un nombre de victimes.

Octobre arrive enfin. Le déménagement tant attendu. Respiration. Du souffle. Le rideau se tire. Les lumières s’allument. Certains dorment. Pour d’autres, le choc est total. Ne croyez surtout pas que je hurle est un film bavard, mais il parlera à beaucoup. Plongée noire dans un inconscient perturbé, dans une intimité chahutée, le pari risqué est accompli : alors que l’on revient dans la réalité, alors que l’on s’évade du film, le monde alentour est devenu intimidant, hostile, effrayant. Alarme de dégout autant qu’il est jonché d’espoir(s), le film de Beauvais se quitte comme on sort d’un rêve, d’un périple poétique. On tient là l’une des claques de la rentrée, et accessoirement une expérience qu’on n’aurait jamais pensée aussi vitale et libératrice – plus simplement et sommairement : un choc.

★★★★

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