Mon Top 30 des films de 2019

Mon Top 30 des films de 2019

Fin d'une année, fin d'une décennie. Retour en images, en textes, en sensations et en émotions sur la cuvée cinéma 2019. D'Hamaguchi à Eggers, en passant par Gray et Llinas. Lire plus

Les Misérables

Les Misérables

Vrai-faux La Haine 2019, ce film de son époque est aussi un essai éminement philosophique sur un sujet sociétal majeur : le pouvoir d'une image et ses conséquences. Lire plus

The Irishman

The Irishman

Des gangsters, De Niro, Pesci, Pacino, une durée gargantuesque et un budget encore plus énorme : The Irishman avait des airs de film ultime pour Scorsese - où est-il justement un peu plus que ça ? Lire plus

The Lighthouse

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Tour de force technique avant tout, The Lighthouse avait sû générer de forces attentes : le buzz passé, le résultat vaut-il un peu plus que le tour de passe-passe égocentrique ? Lire Plus

vendredi 30 mai 2014

Pourquoi Bodhi-Dharma est-il parti vers l'Orient ? (1989)


POURQUOI BODHI-DHARMA EST-IL PARTI VERS L'ORIENT ? (1986)
RÉALISÉ PAR BAE YONG-KYUN
AVEC HUANG HAE-JIN, MYEONG-DEOK CHOI, KIM HUI-YEONG

Immobile dans l'espace et dans le temps, un temple bouddhiste se tient dans des montagnes reculées de Corée du Sud. Trois hommes y habitent : un vieux moine spécialiste du zen, un autre plus jeune qui fait ses débuts dans les ordres, et un orphelin qui découvre tout juste les ressorts de la vie et de la mort. On pourrait se dire que ces trois personnages sont les trois visages d'un même homme, trois moments de vie d'une seule personne - l'enfance, l'initiation et la sagesse. On pense à Kim Ki-duk et son fameux Printemps, été, automne, hiver... et printemps, mais la comparaison est un peu simple et possiblement dévalorisante. Pourquoi Bodhi-Dharma est-il parti vers l'Orient ?, au delà de son titre à rallonge, c'est surtout l'oeuvre d'un seul et même créateur, Bae Yong-kyun. Professeur d'université et peintre, il réalisera seulement deux films sur l'ensemble de sa carrière - lorsqu'on jette un œil à ses méthodes de production, on comprend mieux pourquoi. Il faudra un peu plus de sept ans à Bae Yong-kyun pour terminer son film, assurant à la fois les fonctions de réalisateur, scénariste, producteur, monteur, s'occupant autant de la lumière que des décors, à lui seul il représente l'ensemble de l'équipe technique de son film. Peut-on alors parler d'amateurisme ? Peut-être. Le terme a la fâcheuse tendance d'avoir pris, depuis l'essor d'internet, une connotation négative, et ce serait bien dégradant pour le réalisateur de se voir qualifier d'amateur alors que Pourquoi Bodhi-Dharma est-il parti vers l'Orient ? ne semble mener qu'à une seule et même conclusion : cet homme est un génie, un véritable maître que l'histoire semble avoir oublié.


Il existe une théorie, ou plutôt une expérience, selon laquelle un film ne se vit pas seulement lorsqu'on le regarde. Il y a le visionnage, puis les souvenirs. Un peu comme des vacances en réalité : l'instant présent, et la nostalgie. Pourquoi Bodhi-Dharma est-il parti vers l'Orient ? nous plonge dans la vie quotidienne d'un temple monastique bouddhiste. Vie quotidienne de silence, de recueil, d'initiation même. On y vit et on y apprend comment vivre, un paradoxe pour un lieu aussi immortel et figé dans l'histoire que ce fameux temple qui sert de décors à cette histoire. Bae Yong-kyun oublie momentanément la narration : son film n'est pas censé passionner, mais hypnotiser - chercher une intrigue serait presque aussi ridicule que d'essayer de répondre à la question que pose le titre sans avoir vu le long-métrage. Ces cent-trente minutes ne sont pas celles d'une aventure, encore moins d'une histoire de passion ou de haine, mais plutôt celles d'un voyage contemplatif et onirique au sein d'un paysage éternel - plus que suivre le destin de ses protagonistes, le film capte l'image d'un instant présent. Le jeune moine se questionne, l'orphelin apprend l'immatérialisme, le vieil homme les guide dans ces expériences quotidiennes.
On a tendance à penser que le cinéma sud-coréen est réellement apparu avec la fameuse Hallyu - la vague culturelle coréenne qui débuta au début des années 90 - mais Pourquoi Bodhi-Dharma est-il parti vers l'Orient ? agit comme un contre-exemple admirable. Que ça soit avant ou après sa sortie, jamais on ne reverra tel produit dans le paysage du cinéma sud-coréen. Conte intemporel à la poésie fascinante, qui ressemble à ce qu'aurait donné le mariage de l'univers d'un Tarkovski avec le rythme anti-narratif d'un Tsai Ming-Liang. La beauté des images, de la lumière, des décors, des cadres happe chaque seconde que dure le film, et si on lui laisse une chance, la lenteur laisse place à l'imaginaire.


Oeuvre sensitive par excellence, royaume des rêves et de la mélancolie, fable bouddhiste et recueil admirable sur cette philosophie - le spectateur réfractaire pourrait se heurter à un rythme difficile à aborder, mais pour les autres, la poésie des images et l'intemporalité de Pourquoi Bodhi-Dharma est-il parti vers l'Orient ? prendra le dessus. Sublime, magnifique, inoubliable - les superlatifs viennent à manquer pour qualifier ce chef d'oeuvre méconnu, rareté à ajouter sans hésitations au patrimoine déjà redoutable du cinéma du pays du matin calme.

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