Mon Top 30 des films de 2019

Mon Top 30 des films de 2019

Fin d'une année, fin d'une décennie. Retour en images, en textes, en sensations et en émotions sur la cuvée cinéma 2019. D'Hamaguchi à Eggers, en passant par Gray et Llinas. Lire plus

Les Misérables

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Vrai-faux La Haine 2019, ce film de son époque est aussi un essai éminement philosophique sur un sujet sociétal majeur : le pouvoir d'une image et ses conséquences. Lire plus

The Irishman

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Des gangsters, De Niro, Pesci, Pacino, une durée gargantuesque et un budget encore plus énorme : The Irishman avait des airs de film ultime pour Scorsese - où est-il justement un peu plus que ça ? Lire plus

The Lighthouse

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Tour de force technique avant tout, The Lighthouse avait sû générer de forces attentes : le buzz passé, le résultat vaut-il un peu plus que le tour de passe-passe égocentrique ? Lire Plus

lundi 1 février 2016

Top 20 des meilleures séries de 2015


2015 fut une année magnifique pour la télévision, avec des fins de vieux classiques et des débuts de futurs cultes. Si cette liste recense le gratin du gratin, il serait insultant de ma part de ne pas mentionner les grandes absentes : Halt and Catch Fire, qui a livré un très bon second acte, la toujours aussi virevoltante Haikyuu!!, la touchante Master of None, les très carrées Wolf Hall et Le Bureau des Légendes, la belle surprise Intrusion et la résurrection de House of Cards avec une très réussie troisième saison. Manquent aussi à l'appelle quelques succès critiques que je n'ai pas vu (Documentary Now, Mom, Nathan For You, Inside Amy Schumer et Crazy-Ex Girlfriend) et quelques autres sur lesquelles j'ai du retard (Transparent, Justified et Banshee).


Si la première saison de Black Sails offrait de beaux moments de télévision, elle demeurait jonchée de défauts assez grossiers : un ventre mou assez ennuyant, des personnages secondaires agaçants, des dialogues qui ne menaient nulle part. On attendait donc ce second acte avec une certaine inquiétude – la série allait-elle réussir à franchir le pas ? Agréable surprise donc que cette nouvelle saison : plus dense, plus construite, mieux écrite et surtout possédant un budget gonflé pour l’occasion, elle est supérieure en tous points aux épisodes de l’an dernier. Non content de proposer un final épique et passionnant qui accompli définitivement cette évolution qualitative, la série pousse ses personnages plus loin, arrivant à donner une épaisseur bienvenue à beaucoup d’entre eux. A tel point que Long John Silver devient même le meilleur élément du show, jouissif en parvenu manipulateur dont l’ascension promet déjà beaucoup à l’avenir. Alors certes, Black Sails possède toujours un rythme un peu trop lent, mais elle parvient à complexifier ses storylines et écrire au fur et à mesure un background très intéressant pour ses têtes d’affiches. Violente, sans pitié, elle prend même parfois des airs de Game of Thrones détendu, les effets chocs en moins. Starz et Michael Bay, dans leur démarche de proposer des séries historico-badass à la frontière constante du guilty pleasure, frappent un grand coup en proposant non seulement ce qui est sans doute la série la plus grisante de la chaîne, mais aussi l’un des feuilletons grand spectacle les plus divertissants du moment. Les attentes se sont en tout cas multipliées.


The Expanse est une série d’échelles. En contrastant les lieux d’action et les paysages – vaisseaux spatiaux à Alien, planètes crasseuses néo-noir à la Blade Runner, Terre utopique sortie d’un fantasme – la série parvient à définir très rapidement la profonde complexité des relations géopolitiques qu’elle tente de dépeindre, centre de gravité de l’intrigue et des interactions entre personnages, constamment basées sur ce point de référence. Tout l’univers de The Expanse s’explique par ces subtiles ramifications qu’il convient d’assimiler rapidement si l’on veut pouvoir interpréter correctement les liens invisibles qui rythment les échanges, les dialogues, et même les rebondissements de cette première saison. Là où ce genre de détails saute plus facilement aux yeux à la lecture d’un livre, le travail des scénaristes était ici de les exposer le plus intelligemment possible, sans tomber dans le didactisme facile. Derrière les voyages intergalactiques, un propos social – l’éternel axe de la lutte des classes, et au passage une réflexion plutôt enthousiasmante et courageuse sur le terrorisme. Les parallèles avec le monde moderne ne sont pas difficiles à tracer, The Expanse les assume et pousse la réflexion plus loin. L’opium du peuple, les guerres fratricides absurdes, la propagande, le bias des médias et les paradoxes des causes politiques – avec, en fond de ces querelles infantiles, une menace silencieuse plus forte que tous : une manière détournée d’évoquer le réchauffement climatique ? Un boulot d’écriture qui se retrouve aussi dans celui d’adaptation. Si cette première saison ne recouvre pas l’entièreté du premier livre, elle aura néanmoins su faire ressortir une structure intelligente d’une construction originellement saccadée. Les quelques changements ne trahissent pas la base, et The Expanse offre une telle lisibilité de propos qu’elle en justifie par la même occasion la nécessité de ce transfert sur petit écran. Comme une véritable crise politique, The Expanse est épique, violente, infernale et imprévisible. Syfy frappe un grand coup, chamboulant en une saison tous les codes de la série de hard science. On aurait pu attendre que cette micro-révolution télévisuelle nous vienne d’une grosse chaîne, d’un HBO ou d’un Netflix ; mais c’est des cartons des producteurs de Z Nation et de Helix qu’elle est sortie. En prenant pour la première fois depuis dix ans leur sujet au sérieux, en y mettant les moyens et en se basant sur un matériel qui ne demandait qu’à être transcendé, Syfy vient de nous pondre un grand moment de télévision. C’est désormais fébrile que l’on s’impatiente du prochain chapitre de cette nouvelle grande fresque SF que l’on attendait tous.


Dans une lente exposition, Bloodline prend le temps de nous présenter ses personnages, ses enjeux, son contexte. C’est sans surprise que l’on retrouve un procédé déjà fortement présent dans Damages, avec des retours et des avancées incessantes dans la timeline, brouillant repères et temporalité, abusant de flashbacks, de flashforwards et surtout d’ellipses. Car dans une narration qui laisse une forte place aux mystères et affres du passé, Bloodline joue énormément sur le non-dit et le supposé, soulignant la forte ambiguïté du récit et les contours flous de ses personnages – effaçant ainsi tout manichéisme. C’est la logique et la cohérence de cette brillante construction qui pose une ambiance si particulière : Bloodline est une série sur le secret, et cela se ressent complètement dans la forme, subtile et pourtant loin d’être discrète. Là où Bloodline fascine donc encore plus, c’est dans sa mise en scène. Entre des plans recherchés comme on en voit trop rarement à la télévision et une photographie à tomber de beauté – toutes les scènes nocturnes sont hallucinantes – Bloodline est une série techniquement exemplaire. Il n’y a presque aucune fausse note, car bien au-delà de l’ambition visuelle admirable du show, l’ensemble est d’une grande maîtrise qui, même au cinéma, serait déjà bien au-dessus de la moyenne. Famille et cicatrices de l’enfance sont au cœur de Bloodline. Chaque événement, chaque scène, semblent mener jusqu’aux trois derniers épisodes magistraux, d’ors et déjà l’un des plus grands arcs scénaristiques de l’année. Tragédie psychologique aux accents de thriller, de polar et de drame familial, la nouvelle production Netflix est une belle claque qui, si elle ne déborde pas nécessairement d’originalité, aura su nous proposer l’une des œuvres les plus maîtrisées des derniers années, parvenant à surprendre, à émouvoir, et à distiller un suspense délicat, certes exigeant, mais non moins tétanisant. Il y a bien quelques défauts et autres intrigues moins intéressantes, mais en ciblant un public plus réfléchi, Bloodline se classe comme l’une des nouveautés les plus prometteuses de 2015, préparant un envisageable futur chef d’œuvre. Les ressources et les preuves sont là, il n’y a plus qu’à passer le cap du second acte.


Qu’il s’agisse de l’univers visuel ou scénaristique, de l’écriture ou du souci incroyable du détail, la création de Spotnitz est un travail d’orfèvre, peut-être l’une des productions télévisuelles les plus travaillées de la décennie, et sans aucun doute une anomalie totale dans le paysage actuel du petit écran américain. The Man in the High Castle est une série pour ceux qui aiment attendre, ceux qui préfèrent la description à l’action, et c’est pour cela qu’elle est l’une des créations originales de services de VOD ayant le mieux exploité son format de diffusion destiné au fameux binge-watching : avec son rythme lent, ses références parfois exigeantes et son obsession pour l’allégorie, la nouvelle sortie d’Amazon n’est définitivement pas faite pour tout le monde. Les passionnés d’histoire pourront passer des heures à rechercher tous les easter eggs plus ou moins amusants cachés ici et là, au détour d’un plan ou dans le fond du cadre, mais aussi à noter toutes les métaphores historiques plus ou moins évidentes, de l’assassinat de Kennedy jusqu’au colonialisme américain : The Man in the High Castle est un trésor pour tout passionné du XXème siècle, la direction artistique fine et peu encombrante stimulant sans cesse le récit d’une profondeur globale, d’une logique propre qui rend passionnante l’évolution des différents personnages et du monde qui les entoure. Cet univers est une figure à part entière du show. The Man in the High Castle n’est pas une simple uchronie. En évoquant une réalité alternative, Spotnitz ne prend pas le même chemin que Philip K. Dick. Au-delà de la fresque se cache une analyse rugueuse et pertinente du Monde post-45, des incohérences des discours américains et soviétiques et de la ligne floue qui sépare les régimes politiques ; en soi, un message que l’on peut aussi appliquer à nos sociétés contemporaines, et c’est ce qui fait toute sa viabilité. Les parallèles que l’on peut faire entre notre réalité et l’univers de la série ne sont pas vide de sens, leur intérêt étant proche de l’allégorie pure et simple. Ce n’est pas la seule idée qui imprègne The Man in the High Castle, traversée de la même façon par les questions du pouvoir, du destin de l’humanité, de la dictature, de la morale. Il y a beaucoup à retirer des réflexions de l’œuvre puisque les réponses qu’elle donne ne sont pas définitives, elles s’achèvent très souvent sur une nouvelle question. Peut-on réellement faire le bien ? Peut-on le faire avec une bombe atomique ? Peut-on le faire en tuant un homme ? Peut-on le faire en suivant ses propres valeurs ? The Man in the High Castle est une série non sans défauts, toutes ses intrigues ne se valent pas et on regrettera les héros de celles-ci ne soient pas tous au niveau des trois ou quatre fantastiques personnages qui la transcendent complètement. Direction artistique travaillée, intelligence du propos et univers proprement fascinant, rien ne se compare vraiment à la nouvelle création d’Amazon, sans doute sa plus accomplie à ce jour, et dont on attend avec une impatience non camouflée le renouvellement. Brillant, subtil, hypnotique : la lenteur en achèvera certains, les autres peuvent s’y lancer les yeux fermés.


Phénomène de la sphère otaku d’abord publié sur internet avant de trouver sa voie en version papier, One-Punch Man était l’un des mangas dont l’adaptation en animé était la plus demandée. Lors de son annonce, c’est le soulagement : c’est le studio Madhouse, probablement l’un des labels qualitatifs les plus prestigieux de la japanime, et l’animateur Shingo Natsume, ayant travaillé entre autres sur Full Metal Alchemist : Brotherhood et Space Dandy, qui s’en occuperont. Aucune surprise donc, une fois devant le produit fini, de découvrir une animation de ce niveau. One-Punch Man est un plaisir à regarder ; énergique, dynamique, variant magnifiquement les styles d’animation, parvenant à s’inventer une forme d’humour visuel d’une inventivité sans cesse renouvelée. Difficile de renier le fait que le résultat est techniquement impeccable, probablement l’un des plus réussis de ces dernières années. Mais pour supporter sa maestria graphique, faudrait-il encore avoir un fond un minimum engageant. En respectant fidèlement le manga, et en se permettant à l’occasion quelques modifications bienvenues, One-Punch Man en récupère les grandes qualités. Drôle, malin, plus profond qu’il n’y paraît quand il s’exerce, au-delà de la parodie de shonen, à la satire sociale, l’animé est un rendez-vous électrique ; qui à défaut de réellement surprendre, s’engage dans un registre excentrique à la croisée de Gintama et de Kick-Ass pour au final parler à merveille non seulement du genre auquel il rend un hommage insolent, mais aussi évoquer la question de l’héroïsme ordinaire, de sa négligence et du mécanisme de la routine. La dramaturgie sarcastique et le développement inexistant des personnages devra sans doute s’aliéner une partie de son public potentiel. Mais derrière son rictus, One-Punch Man est une série d’une générosité sans limites : combats mis en scène à la perfection, récit rythmé et inventivité de chaque seconde. On ne s’ennuie pas un seul instant si on adhère à l’hystérie bien japonisante de la dernière réalisation de Madhouse. Pour l'apprécier à son maximum, il est préférable d’être un minimum initié – en se moquant ouvertement de Dragon Ball, One Piece et de bien autres maîtres étalons du standard shonen, la cible de ses vannes est clairement définie. Mais au-delà de ce relatif ésotérisme comique, difficile de faire la fine bouche devant un tel concentré infiniment ludique. À déguster sans modération.


The Knick repousse des limites – elle n’en a, à vrai dire, aucune. Portée par un état de grâce quasi-constant depuis son pilote, elle se plonge chaque semaine, pendant une heure, dans un univers situé quelque part entre le drame au réalisme troublant, le thriller aux effets anachroniques et l’œuvre d’art moderne à la construction parfois proche de l’expérimentation pure. Rares sont les séries qui tentent vraiment quelque chose, s’essayant à la fois à poser les bases d’une forme inventive, mais aussi à continuer de l’explorer au fur et à mesure que les épisodes passent. C’est bien pour cela que The Knick est imparfaite. A tout tenter, elle ne peut tout réussir – mais sans ces tares, elle ne pourrait revêtir cette ambition hallucinante dont elle fait preuve. Si la première saison s’était enfermée dans une forme parfois castratrice, ce second acte ne connaît pas de barrières. The Knick ne ressemble à rien de connu, et c’est là sa plus grande qualité – c’est en cela qu’elle est importante et qu’on pourrait presque parler, avec toutes les précautions que ce titre impose, d’un chef d’œuvre.


Cette année, Game of Thrones s’est vu affronter de nombreux obstacles : les fuites à répétition des épisodes ou des événements marquants du prochain épisode, sa popularité toujours plus grandissante qui a vu, fatalement, l’émergence d’un bashing gratuit et souvent injustifié, mais aussi le rattrapage inévitable des livres de George R.R. Martin, que les scénaristes ont tenté de contrer en poursuivant un virage opéré depuis désormais plusieurs années : celui de s’éloigner graduellement des livres. Et autant le dire tout de suite : à part deux ou trois arcs scénaristiques, cette année, Game of Thrones et A Song of Ice and Fire ont définitivement pris des chemins différents. En se détachant des livres, les scénaristes de Game of Thrones ont dû improviser. Plus de Papa Martin pour superviser David Benioff et D.B. Weiss dans l’écriture des épisodes, il sera désormais nécessaire d’écrire des histoires crédibles en conservant la profondeur et la logique des dialogues et des personnages présents dans le livre. Chose moyennement acquise au terme de cette cinquième saison, il faut l’avouer. Game of Thrones est moins bavarde, et c’est dommage, car à vouloir contenter la masse populaire en leur proposant des scènes d’action et des  intrigues évoluant rapidement, c’est la subtilité de la série qui s’est légèrement estompée. Oui, contrairement à ce qu’en disent beaucoup, Game of Thrones va très vite en 2015, il se passe beaucoup de choses. Beaucoup trop, et sans prendre le temps de les amener correctement, diminuant l’impression d’importance des retournements et des choix des protagonistes. Cela a abouti à des décisions scénaristiques, non présentes dans les livres, plutôt improbables. Des rencontres, notamment, maladroites tentatives de fanservice. La qualité d’écriture a commencé à s’évaporer, c’est une évidence. Quelques épisodes (le cinquième et le dernier) démontrent que l’ombre de Martin plane encore sur le show, mais impossible d’oublier ces grossières erreurs parsemées ici et là. Dit comme ça, on pourrait penser que Game of Thrones saison 5 est un raté : c’est en réalité simplement le coup de mou (sublimé par quelques scènes incroyables) d’une grande série. La qualité presque irréprochable du casting – si l’on oublie un instant Emilia Clarke – l’intensité de certaines scènes en tant que broyeurs émotionnels incroyables, fatals, tragiques, sans aucune issue possible. L’univers de Westeros est un monde de bêtes humaines, aussi complexes qu’elles peuvent commettre les pires atrocités ou les plus grosses erreurs. Même les soi-disant héros (érigés comme tels par des personnes n’ayant pas compris le plus profond message de la série) sont faillibles. Même les reines conquérantes sont de piètre dirigeantes. Même les méchants parfaits sont parfois plus ambigus qu’on ne voudrait le penser. Il y a cette ambition visuelle de chaque instant. Ce budget gigantesque qui permet à la série de servir des décors plastiquement parfaits et des scènes d’actions enthousiasmantes. Une maestria technique sous tous les aspects : de la mise en scène intelligente même si elle a tendance à être de plus en plus démonstrative, une bande-originale toujours aussi admirable et une précision scénographique qui est un modèle du genre. Game of Thrones est prisonnière de sa popularité. Déjà parce qu’il est devenu cool de cracher dessus pour des raisons obscures, mais aussi parce que ces mêmes personnes – si elles ne s’en rendent pas compte – risque de signer l’arrêt de mort de la série. Bien sûr que cette saison 5 a des défauts, mais ce sont des failles issues des remarques faites aux grandes qualités des saisons précédentes. Le serpent se mord la queue et le seul espoir c’est que les scénaristes décideront enfin d’ignorer les plaintes d’un public non initié, que seuls les rebondissements et scènes de combats contentent. Sauf que Game of Thrones ce ne sont pas des morts, des viols et des batailles. Game of Thrones ce sont des individus perdus dans l’immensité de guerres qui les dépassent. Intimiste, réaliste et désenchantée. Tragédie sur la religion et sur la difficulté des responsabilités, cette saison 5 de Game of Thrones aura reçu de nombreuses critiques imméritées. La série s’est trouvé un rythme de croisière, et il est clair qu’en réécrivant les livres de Martin à leur sauce, le duo de showrunners a fait l’erreur de recentrer les personnages autour de quelques intrigues pas forcement égales en qualité. A trop vouloir réunir les arcs, ils ont fini par perdre cet esprit choral qui faisait tout le charme des précédentes saisons. En espérant que ce ne soit que passager, et même si l’émerveillement s’est atténué, le plaisir est toujours intact.


Si les formats courts HBO qui, dans un premier temps, sont de vraies comédies et qui, dans un second temps, font vraiment rire, sont une denrée de plus en plus rare, on peut déceler une certaine constante à partir des quelques œuvres qui réussissent ces deux tests : le plus souvent, ce sont des séries à l’humour bien vulgaire, proposant un message ou une satire en filigrane d’une finesse inattendue. Si la première saison de Silicon Valley était déjà une réussite indéniable, on attendait son second acte avec une impatience non camouflée : cette année, il fallait aller encore plus loin. Et Silicon Valley a fait exactement ce qu’on attendait d’elle. Ce qui est fascinant à son propos, en dehors de ses situations hilarantes, c’est son intelligence assez inédite. Car Silicon Valley ce n’est pas un show superficiel sur un groupe de geeks asociaux comme ont pu le faire The Big Bang Theory et The It Crowd, loin de là : en s’inscrivant dans une logique économique purement contemporaine (essor des start-ups, influence des géants du web, monde parallèle de Palo Alto…) avant d’écrire des situations, Silicon Valley est une série qui parle de son époque, de ses acteurs, et ceci avec une subtilité délectable. C’est parfois un simple détail, une petite référence – comme cela est fait dans l’excellent écran-titre – ou même une scène toute entière à la limite de la parodie. C’est là qu’elle se démarque d’Entourage à laquelle on l’a souvent comparée – plus incisive, moins complaisante, moins fantasmée. Dans Entourage, les personnages étaient des idiots (involontaires) sympathiques, dans Silicon Valley, quand ils ne sont pas des sociopathes manipulateurs, ce sont des abrutis finis. On se croirait parfois dans South Park, sauf que contrairement à la célèbre série animée, Silicon Valley construit une continuité et par extension une certaine forme d’attachement à ses individualités, desquelles respirent une forme d’humanité. Le génie de cette saison 2, c’est d’avoir su plus que jamais allier différents niveaux de finesse dans son humour, d’avoir su approfondir ses thématiques sans qu’elles n’envahissent la narration. C’est à ça que l’on reconnaît les grandes séries, cette capacité d’allier plusieurs objectifs – ici la réflexion et le pur divertissement – sans qu’ils interfèrent entre eux. Tout simplement une leçon d’écriture, l’une des séries les plus drôles en diffusion, portée par un casting dévastateur. Un indispensable.


Diffusée dans un relatif anonymat malgré qu’elle réunisse des guests stars de choix (Cuba Gooding Jr., Ben Stiller, Michael Madsen, Paz Vega ou encore Jason Alexander), Big Time se démarque dès le départ par son absence totale de tabous dans l’humour qu’elle utilise. On pense rapidement à It’s Always Sunny in Philadelphia, évidemment, avec ses protagonistes inconscients qui entraînent les pires catastrophes pouvant arriver à leur entourage, mais aussi à The Wrong Mans, pour cet aspect comédie d’aventures où de pauvres types sont confrontés au « monde des grands ». Les scénaristes partent dans tous les sens, s’amusant autant à parodier allègrement la production cinématographique américaine au travers de films suédés délirants au possible, qu’à jouer à merveille la carte de l’autodérision, par le biais – entre autres – d’un Cuba Gooding Jr. complètement possédé, dont la performance mérite à elle seule qu’on laisse une chance à Big Time. Oui, c’est lourd, définitivement con et débile, avec des blagues scabreuses quand elles ne sont pas insultantes. Mais voilà, en ne s’imposant aucune frontière, tant morale que narrative, Big Time se construit une identité, une singularité dans le paysage audiovisuel américain qui lui permet de rejoindre Always Sunny et Shameless au panthéon des comédies légèrement transgressives dont la nature même est à la fois la source de leur réussite et de la division qu’elles créent. Car Big Time c’est définitivement de très mauvais goût, mais du mauvais goût magnifique, jouissif et généreux, qui donne au spectateur le summum de ce qu’il est en droit d’attendre de ce type de production bête et méchante, absurde, brute, mais foncièrement sympathique sur le fond comme sur la forme. La comédie américaine dans ce qu’elle peut avoir de plus régressif, mais en même temps de plus novateur. Big Time est une excellente surprise dont la douce bêtise des scénaristes se retrouve mise en avant par un casting survolté et une inventivité formelle plus que bienvenue. Un plaisir coupable ? Pas vraiment, parce que derrière cette façade vulgaire se cache une intelligence du dialogue digne des plus grands. Déjà culte.


The Last Kingdom est un long feuilleton à l’ancienne, mais avec ce ton moderne qui fait toute sa puissance. Cette sauvagerie inaudible, ce monde ambigu et ces conceptions qui s’affrontent dans un violent choc des civilisations. Tout autant que sa fluidité, ce sont ses personnages qui rendent la série si passionnante à suivre. D’aucuns diront que beaucoup sont des stéréotypes, du personnage principal valeureux et invincible jusqu’au comic relief alcoolique, en passant par la bromance sympa et le vicieux seigneur qui ne sait pas se battre – mais c’est en mettant ces clichés à l’épreuve de leur moralité que la série devient brillante, c’est en les supprimant du casting si brutalement, si sèchement qu’elle fait violence au spectateur. Car malgré leurs traits très connus, toutes ces figures possèdent un charisme incroyable, et les acteurs n’y sont pas pour rien. On pourra parfois s’interroger devant la superficialité de certains personnages secondaires, mais on pardonne rapidement à la série tant ces repères codifiés permettent une identification plus rapide, facilitant ainsi l’avancement de la folle narration de cette saison. L’aspect visuel, les compositions techniques et tout ce qui concerne la mise en scène du show sont une véritable réussite. Rien de remarquable, mais en s’inscrivant au vrai cœur de l’action – avec une certaine avarice des grands effets démonstratifs – au bout du compte, The Last Kingdom est une très belle série à regarder. Jamais son budget (probablement faible) ne se ressent à l’écran, jamais elle ne semble violer les limites de ses capacités face à son ambition. The Last Kingdom n’est pas une révolution, mais elle arrive au bon moment. Alors que beaucoup se plaignent du temps que Game of Thrones prend pour construire son univers, ses intrigues et ses personnages (et pour sa défense, elle le fait très bien), The Last Kingdom s’en détourne complètement. Tout ce que veut faire la dernière œuvre de la BBC America, c’est conter une simple histoire, sans détour ni complexité, sans enrobage ni surprises. On ne l’attendait pas sur ce terrain, mais il s’agit peut-être de la dernière grande série d’aventure, généreuse, passionnante, stimulante, épique et d’une lisibilité sans pareil. Même si derrière cette histoire qui semble toute droit sorti d’un jeu de rôle sur table ou d’un shonen classique il n’y a pas de symbolisme fort ou de grande finalité, mais il s’y trouve de fantastiques conteurs. L’épée à la main, chevauchant vers le soleil avec ses fidèles compagnons pour aller secourir des princesses et sauver des royaumes : c’est ça The Last Kingdom. Et revenir à une telle majesté par le storytelling de narrateurs hors pairs, c’est finalement tout ce qu’on attendait et que l’on désespérait de revoir un jour sur le petit écran. Qui a dit Conan le Barbare ?


Si l’an passé Looking avait laissé une impression plus que mitigée, aucun doute que cette deuxième saison lui est en tout point supérieure. Dès les premiers épisodes, on sent qu’il s’est passé quelque chose dans l’esprit de l’équipe créative : plutôt que de bêtement se contenter de dépeindre les mœurs et les codes du microcosme homosexuel de San Francisco, Michael Lannan donne à sa série une porte plus universelle, plus générale, plus intelligente et qui arrive ainsi à balayer un public bien plus large. On passe d’une réflexion sur la vie de couple et la conception du mariage, à un témoignage de l’acceptation d’une minorité, en passant par la crainte des MST et les blessures du temps. Sans jamais paraître niaise ou exubérante dans ses effets, Looking est une sublime poésie bleutée sur le rythme du quotidien. Tout sonne juste, et c’est dans ce cycle d’émotions incessant que Lannan parvient à renouveler notre intérêt chaque semaine, explorant avec une sensibilité impressionnante cette tragédie sentimentale aussi passionnante qu’attachante. Car là est aussi le cœur de l’inattendu renouveau d’intérêt pour Looking : ses personnages. Tous évoluent, les cicatrices se multiplient, leurs destins se croisent et c’est sans prévenir que l’on finit par les comprendre et les soutenir. Une cohérence remarquable écrit les pages peu à peu les pages de leur vie fictionnelle, et ils n’en deviennent que plus humains. Mais ce qui fait encore et toujours la grandeur de Looking c’est la qualité hallucinante de sa mise en scène – tons bleus, ambiance océan, photographie tout en contrastes qui inscrit des plans sublimes sur la rétine de spectateur – des cadres magnifiques et inoubliables qui finissent par hanter le subconscient et renforcer l’identité si particulière de la série. Elle aura beau s'achever sans fioritures lors d'un téléfilm en 2016, on ne l'oubliera jamais.


Comme à son habitude, en prenant le point de vue d’une ville américaine, Simon parle des Etats-Unis et plus généralement de notre société contemporaine. Deux sujets semblent au centre de sa réflexion : la ségrégation sociale et la manœuvre politique. Le point le plus brillant de ce traitement est que, malgré son engagement, Simon ne s’autoproclame jamais juge des personnages qu’il décrit. Ce souci du réalisme, de la peinture d’un échange anti-manichéen au possible, rend ces hommes politiques, ces familles en difficulté et ces riches bourgeois bien plus humains qu’ils ne peuvent l’être dans la plupart des tentatives américaines actuelles de fiction sociale – American Crime, par exemple. Plus que de s’intéresser aux conséquences du rejet et de la peur de l’autre, comme l’a fait John Ridley, Simon se focalise sur ses causes. C’est un terrain glissant et il faut savoir faire preuve d’une rare subtilité pour ne pas tomber dans l’amalgame ou dans la généralisation. Simon ne fait évidemment jamais dans la caricature – son propos est mesuré et apparait fatalement comme plus pertinent. Show Me A Hero n’est pas seulement une affaire de racisme, mais aussi une chronique politique désenchantée où les mensonges sont presque raisonnables et où tout est question d’apparence, tout aussi critique envers ses cadres qu’envers la masse grouillante et déraisonnée, illustration terrifiante des limites de la démocratie. David Simon propose une lecture socio-politique passionnante, intelligente et nécessaire. Il ne faut pourtant pas faire l’erreur de se limiter à cette vision de l’œuvre, car Show Me A Hero est aussi un drame intime touchant, porté par un Oscar Isaac excellent. Six épisodes, c’est bien court, mais déjà bien assez pour cet auteur de génie pour intégrer un raisonnement complet à une fiction terriblement attachante. Personnages complexes sur fond de tragédie moderne, qui ressemblerait presque à la rencontre de Zola et de Shakespeare dans la banlieue new-yorkaise. Peut-être son œuvre la plus accessible, de par sa durée et son énergie, et pourtant l’homme n’est pas tombé dans la facilité. On est d’autant plus impatients quand on sait qu’il travaille actuellement sur deux nouveaux projets, l’un sur le monde sur la finance et l’autre sur l’industrie pornographique – de quoi nous enthousiasmer, car il n’existe aujourd’hui sans doute pas d’auteur plus brillant à la télévision comme au cinéma.


L’an dernier, Fargo était une série sur la bestialité de l’être humain, sur la violente animalité qui ronge même les êtres les plus innocents. Cette nouvelle itération n’est pas tant traversée par ces questionnements existentiels que par la tragique peinture de l’Amérique post-Vietnam, rongée par les fantômes de sa jeunesse traumatisée, violentée, torturée. Le spectre d’une génération abusée par son autorité, par cette puissance supérieure et omnisciente les utilisant comme les pions de leur grand schéma. Dans Fargo, les aliens remplacent les gouvernements, les mafieux sont des soldats, policiers et civils sont les dommages collatéraux inhérents à toute guerre. Dans le dessin de la guerre fratricide de ces victimes aux mêmes racines, la nouvelle saison de Fargo se révèle d’un pessimisme rare. Le rêve américain désenchanté, les traumatismes de la guerre, à l’empreinte ineffaçable, et la profonde inhumanité d’un monde qui les stigmatise et ne les comprends pas. Hawley fait de cette farce criminelle la rencontre brillante d’un comique de l’absurde digne des plus grands et d’un propos social tragique, fataliste et fondamentalement déprimant. Derrière le visage balafré de ces gangsters plus ridicules les uns que les autres se cachent à la fois l’ombre de l’enfer de la jungle vietnamienne transmis de génération en génération selon la mécanique macabre du cycle de la folie de l’homme, et les malaises d’une époque – du combat contre le cancer à la fin des individualités : Fargo, saison 2 est finalement le portrait des failles et des blessures de celui qui aime s’appeler le plus grand pays du monde. Mais la plus grande réussite de la série est sans doute l’illustration de ces propos. Par l’allégorie, bien entendu, mais aussi avec style – mise en scène au-dessus de tout (ou presque) de ce qui peut se faire actuellement sur petit écran, usant de gimmicks et d’effets toujours bien sentis, casting d’un niveau admirable, inventivité constante dans l’écriture et dans la narration. Tant d’accomplissements créatifs qui font de Fargo un monument de la télévision contemporaine. Tous essaient de trouver une réponse à cette question : pourquoi la violence ? pourquoi la guerre ? Certains s’en libèrent et la laissent se déchaîner dans une explosion de sang et de cris ; d’autres cherchent des solutions : serait-ce une question de langage ? ou alors un malaise identitaire ? Comme dernière note positive, Fargo semble nous dire de garder espoir. Parmi tous ces hommes, certains ont de bonnes intentions. Le bien, s’il se cache parfois derrière le mal, peut être une finalité. Hawley a beau être pessimiste, il n’est pas fataliste – et c’est bien pour cela que son bébé est plus qu’une simple série, plus qu’une simple relecture de l’univers des Coen. Il est un auteur, et Fargo est son chef d’œuvre.


Les deux premières saisons de The Americans alliaient, suivant une schizophrénie qualitative frustrante, le très bon et le médiocre. Des intrigues plus ou moins passionnantes, certaines souffrant de faibles enjeux auxquels il était difficile de se rattacher. Après le retournement final de l’an dernier, on était cependant en mesure d’en attendre plus d’une des séries les plus acclamées de la télévision américaine. Inutile de tourner autour du pot : cette saison 3 est une franche réussite. Plus encore, elle efface tous les défauts des précédents actes en proposant un niveau d’écriture tout bonnement hallucinant. Une évolution qui trouve sa source premièrement dans la mise en retrait de personnages inintéressants (même s’ils monopolisent toujours chaque semaine quelques minutes d’épisode), mais aussi dans la mise en place de finalités bien plus tragiques, poussant à la fois à une certaine réflexion de la part du spectateur, mais aussi à une véritable impatiente, tant la série a su gagner en intensité. Pour la première fois dans The Americans, il y a de l’émotion. Pas du tire-larmes bête, mais des scènes de remise en question digne des meilleures séries. C’est profond, juste, loin d’être tape-à-l’œil, et surtout les acteurs sont incroyables – comme d’habitude, mais cette fois avec un scénario pour soutenir leur jeu. Le niveau atteint à partir de l’épisode 9 et ce jusqu’au season finale est un modèle, et probablement parmi ce que la télévision américaine a produit de plus réussi cette saison. The Americans n’est pas une simple série d’espionnage – c’est une série identitaire, qui réfléchit sur la position de ses protagonistes. Cette année, cette affirmation est plus que jamais avérée, en prenant un recul énorme par rapport au statu quo qui régit la série depuis son pilote. Admirable.


En l'espace d'un peu plus de deux années, Hannibal a commencé, a brillé, puis s'est achevé. Au-delà de la colère de voir l'une des plus belles et plus transcendantes œuvres de la télévision moderne se terminer après seulement trois saisons, il y a aussi la déception de voir que rien n'a vraiment été fait pour la sauver. Hannibal est une série qui, au-delà de raconter une histoire et un monde, savait expérimenter sa forme comme son fond. Ce qu'Hannibal a proposé pendant ces presque quarante épisodes, aucune autre ne l'avait tenté avant elle : visuellement, c'est de la peinture du mouvement, philosophiquement, c'est un essai réfléchi et intelligent sur l'empreinte contemporaine de la folie et de la violence. Si la saison 1 restait cloisonnée dans des codes proches du procédural, le second acte s'envolait déjà vers quelque chose de nouveau, de plus risqué, proche de ce qui peut se faire sur le câble. Ce que la troisième et ultime saison de Hannibal représente, c'est une étape de plus. Un nouveau pas vers une forme de télévision inconnue, nouvelle, ingénieuse. Elle a divisé, elle divisera encore longtemps, et on comprends pourquoi. Mais avoir tenté, dans ce qui est probablement l'un des chants du cygne les plus déchirants jamais réalisé sur petit écran, quelque chose d'aussi fondamentalement révolutionnaire, ça mérite un minimum de respect. Qu'un tel chef d'oeuvre nous quitte sur une note aussi novatrice et créative, cela ne fait que confirmer le bien qu'on pensait de lui. On est bien sur tristes de la voir disparaître, mais heureux que ceci ait été fait. Parfaitement imparfait.


Difficile de pouvoir encore dire grand chose de nouveau sur Always Sunny après tant d'années. 10 ans, c'est gigantesque. Mais ce qui est encore plus admirable, c'est qu'après tout ce temps, la série de FX soit toujours aussi exemplaire. Cette dixième saison était l'une des plus drôles, chaque épisode était plus culte que le précédent. Il n'y a eu, pour ainsi dire, aucun faux pas. Qu'une comédie vieille d'une décennie vienne encore prouver son inventivité, cela témoigne d'un certain talent. Toujours aussi hilarante, un indispensable et un classique. Chapeau bas.


Le nouvel âge d’or des séries est déjà terminé depuis plusieurs années et, alors que la télévision s’est trouvé un rythme de croisière en produisant en grande quantité des ersatz des succès câblés des années 2000, il est devenu de plus en plus difficile de trouver une œuvre sortant réellement du lot. Il y a bien des shows prestigieux qui nous occupent de septembre à août, mais rares sont ceux qui transcendent fondamentalement leur média souche. Regarder Mr. Robot expérimenter, chaque semaine, un peu plus cette forme télévisuelle, c’est retrouver cette sensation indescriptible d’être surpris par autre chose que par des rebondissements agressifs ou par une débauche d’effets qui ne peut combler l’absence de scénariste talentueux. A chaque nouvel épisode, Mr. Robot s’est réinventée, abandonnant ses acquis, repoussant ses limites : on passe du polar mafieux au cyberthriller, du drame familial à l’introspection psychiatrique, de la réflexion sociétale à la pure allégorie. C’est sans faux pas que la série aborde avec une facilité déconcertante des notions complexes d’informatique, de philosophie, d’économie ou de psychologie, aussi pertinente lorsqu’elle évoque l’évidente instabilité d’un paradigme bâti sur de l’abstrait, que lorsqu’elle s’intéresse aux blessures intimes de ses personnages. L’écriture, tout comme la mise en scène, sont évolutives. Si Mr. Robot possède une vision d’ensemble bien définie, chaque épisode propose un véritable fil conducteur stylistique. La réalisation y sera plus intense ou moins ambiguë, les scènes s’enchaîneront de telle manière pour qu’à la fin de l’épisode, de façon plus ou moins évidente, Esmail en vienne à une conclusion, qu’il s’agisse de remettre en question la moralité de son protagoniste, sa santé mentale, ou d’évoquer la place de l’humain dans une société qui ne l’est pas. Elliot et le monde qu’il combat sont étroitement liés, et c’est cette relation particulière qui les unit qui est en réalité le fond thématique de Mr. Robot. En apparence si opposées, leurs enjeux, leur regard, et leur pertinence sont très proches les uns des autres. C’est cette ambivalence qui traverse Mr. Robot. Esmail ne fait pas de ces révolutionnaires anticapitalistes des héros, il ne fait pas de leur cause un étendard, et même s’ils sont bien intentionnés, il ne les présente même pas comme des bonnes personnes. Des dangers, des inconscients, ou même des criminels, qui menacent l’équilibre d’un monde imparfait, dont la présentation comme un nemesis machiavélique est définie dès le départ comme un fantasme dont la réelle nature est transformée, jusqu’à son nom, par l’esprit difficilement fiable de la figure centrale de la série. Si on sait lire entre les lignes, Mr. Robot n’est pas un bête pamphlet schizo-anarchiste à la Fight Club, mais une fresque politique qui pose la question de la subjectivité. Son protagoniste n’est pas un justicier, mais un solitaire asocial qui a recréé le monde depuis sa chambre miteuse. C’est ce talent indécent pour éviter les sentiers battus, pour prendre des codes connus à contre-courant, pour laisser une part de doute et donc de faire confiance à l’intelligence du spectateur qui fait de Mr. Robot une série si particulièrement fine, et par la même occasion si follement ambitieuse. Un immanquable.


Parfois la réalité est encore plus inventive que la fiction. The Jinx, c’est un peu ça. Nouvelle réalisation d’Andrew Jarecki, auteur de Capturing the Friedmans, autre documentaire sur un fait divers criminel, The Jinx s’intéresse au milliardaire Robert Durst et aux affaires auxquelles il a été mêlé. Il ne vaut mieux pas en savoir plus, car là est la grande réussite de la mini-série de Jarecki : tout cela est vrai et pourtant aucun scénariste n’aurait jamais osé écrire une histoire aussi abracadabrante, constellée de rebondissements, de retournements de situation, de bouleversements incompréhensibles mais répondant pourtant à une cohérence macabre implacable. Au travers de cette remise en question à peine camouflée du système judiciaire américain, Jarecki dresse le portrait d’un homme. D’un homme pas comme les autres, dérangeant, terrifiant, d’une intelligence hors normes et surtout profondément ambiguë : Robert Durst. Les pièces du puzzle s’assemblent peu à peu, on plonge petit à petit dans sa vie, dans celle de ses proches, et pourtant, on ne le comprend toujours pas. Pourquoi dit-il cela ? Pourquoi fait-il cela ? Est-il coupable ? Innocent ? Plutôt que de nous répondre, Jarecki nous donne des pistes, et même si The Jinx invite au questionnement, impossible de trouver des réponses. Toutes les cordes se croisent et se superposent, des nouveaux indices viennent s’ajouter à d’anciens, et entre coupable idéal et innocent malchanceux, on n’arrive pas à choisir : Robert Durst demeure une énigme. Ce n’est pas seulement génial, c’est passionnant. Construction exemplaire du récit, montée en puissance incroyable, réflexions pertinentes sur la lutte sociale et les limites de la justice, générique fabuleux, choix de mise en scène admirables : The Jinx est une réussite incroyable, un petit chef d’œuvre qui se vit autant qu’il s’apprécie. On finit bouche bée, en-dessous de ce nuages d’incertitudes, de questions sans réponses, et surtout avec la profonde impression d’avoir assisté à quelque chose de grand. Quelque chose de très grand. Car en plus de résonner dans l’actualité, The Jinx nous pose une question cruciale : quand tous sont dans le doute, à qui peut-on bien faire confiance ?


Des publicitaires sirotant un whisky, une cigarette à la main, discutant dans un bureau au cœur de New York. C’est un peu ça Mad Men. En tout cas c’est l’image qu’elle donne. Celle d’un drame prestigieux un peu ennuyant, sorte de reconstitution soapesque pour nostalgiques des années Kennedy. Il est certain que la plume de Weiner est beaucoup moins palpitante que celle de Gilligan, il est aussi évident que Mad Men est une série très exigeante. Pas dans le sens où elle nécessite une implication forcée, quitte à mettre de côté l’hédonisme, mais davantage parce que Mad Men est une série qui s’apprécie comme aucune autre : en savourant le moment. C’est un peu comme cela que Weiner l’a écrit de toute manière, en faisant comme si chaque fin de saison était un adieu définitif à son spectateur : avec son audience de niche et son coût budgétaire grandissant – AMC n’étant pas connue comme étant une chaîne très dépensière – la seule chose qui semblait la protéger de l’annulation, qui a bien failli arriver après son quatrième acte, c’était son succès critique unanime. Weiner a bien entendu toujours su où il voulait amener ses personnages, mais il fallait bien s’en occuper entre-temps. Attention, Mad Men n’est pas une série qui comble l’espace – mais une série qui le magnifie. Chaque épisode est un régal d’écriture, sobre, limpide, refusant l’émotion facile et usant des ellipses et des implicites comme aucune autre ne l’a fait avant elle. Mais les scénaristes de Mad Men sont des petits malins, car en transcendant le schéma que l’on pense attendre d’eux, ils surprennent. Très souvent, même. De la fin du pilote à la conclusion de son final, Mad Men est une série qui s’aventure où on ne l’attend pas, imprévisible comme l’est le chemin parcouru par ses personnages, finalement très terre-à-terre et suivant une logique implacable, mais dont le destin est un long couloir obscur aux multiples embranchements. Mais aujourd'hui, une page se tourne. L’influence qu’a eue Mad Men ne peut se mesurer : elle est gigantesque. Tant dans le simple cadre télévisuel que dans la représentation qu’elle invoque. Un modèle d’écriture, d’intelligence, de finesse, capturant l’émotion avec une tendresse et une retenue que très peu d’autres œuvres peuvent se vanter d’user. La série de Weiner est une œuvre complète, cohérente, vertigineuse et intimiste, dont la perfection est à la digne mesure de sa conclusion inattendue et brillante, à l’orée de la métaphore, dont la teneur, la division, l’ambivalence et l’incertitude qu’elle procure l’ont déjà fait entrer dans la légende. Presque comme un carrousel dont on ne profiterait que d’un tour trop bref. Un chef d’œuvre s’en va, et l’on pourrait simplement conclure qu’en dépeignant une époque depuis longtemps révolue, Weiner en a profondément marqué une autre. Inoubliable.


C’est sur une nouvelle musique que s’ouvre la reprise de la création de Lindelof. Des silhouettes découpées dans des scènes du quotidien ; des nuages de poussière et de fines gouttelettes recouvrant ces formes fantomatiques sur un doux son de country folk nous rappelant de les oublier une fois pour toute. On est bien loin des fresques michelangelesques de l’an dernier ; même le cadre semble s’évaporer pour un autre, laissant tomber les périphéries new-yorkaises pour successivement s’envoler pour la Préhistoire et pour le Texas. Dans les esprits de tous les personnages, un 14 octobre. Il pourrait s’agir d’un 13 novembre, d’un 11 septembre ou d’un Vol Oceanic 815. Nul ne doute qu’une actualité plus ou moins lointaine se trouvait dans la tête des scénaristes de The Leftovers lors de son écriture ; mais il ne faudrait pas en oublier la profonde universalité. Pourquoi eux et pas moi ? Où sont-ils tous partis ? Il ne faut pas chercher une réponse définitive aux questions en apparence narratives que pose Lindelof et son équipe ; car elles n’en sont justement pas. The Leftovers est un travail sur l’allégorie, une réflexion en miroir sur le deuil, sur la mort, sur la tragédie et sur la fissure institutionnelle. Derrière tous ces regards se cachent des blessures intimes ineffaçables, chacun les soignant à sa manière, par le déni, par le souvenir, par la folie, ou tout simplement par un miracle. Ce n’est pas dans l’esprit de The Leftovers de leur donner un sens ou de les juger, la série ne fait que les explorer. Tout passe par le geste, dans cette composition d’une ambition rarement vue sur petit écran. La métaphore se croise à l’illusion, le rêve aux visions de cauchemars, la fin du monde à la rédemption : tantôt bouleversante, tantôt ironique, tantôt indescriptible, The Leftovers est surtout une série qui ose, qui – dans son art de l’introspection – plonge au cœur même des formes physiques des thématiques qui la hante. Certains espèreront trouver une logique dans l’univers meurtri de Miracle, Texas. La seule logique qui s’y trouve, elle est pourtant très simple, c’est celle du chaos. Ils étaient là, ils ne le sont plus – pourquoi ? comment ? où ? Ils sont beaucoup à s’être posé ces questions au fil des siècles et des millénaires, plusieurs disent y avoir trouvé une réponse. Ils sont au paradis, ils sont en enfer, ils ont rejoint les étoiles ou attendent patiemment les autres sur une île lointaine ou dans un hôtel luxueux – qu’importe au final, car les vivants, eux, n’ont pas bougé. Et ils n’en savent pas plus que vous. Ce qui fait de The Leftovers un chef d’œuvre absolu de la télévision, ce n’est pas tellement l’intelligence de son propos, sa portée intemporelle, la qualité vertigineuse de son casting, de sa bande-originale ou de sa mise en scène, mais sa manière d’articuler si magnifiquement les cartes qu’elle a en main. Damon Lindelof a compris que le monde qu’il décrit, comme celui dans lequel il vit, n’a pas de sens – comment lui en donner un, sans trahir son injustice ? Avec un peu d’imagination, un talent de scénariste peu commun et une famille américaine à laquelle chacun peut s’identifier, tout est possible. The Leftovers n’est pas tant une série sur la fin du monde que sur le murmure d’apocalypse qui traverse les pensées tourmentées des survivants. Les 14 octobre sont quotidiens, personne n’y échappera ; même pas moi, même pas eux, même pas vous.

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